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Les problèmes auditifs chez les personnes atteintes de l’ataxie de Friedreich

Par France Désilets MOA, audiologiste
Institut Raymond-Dewar

En juillet 1999, madame Nicole St-Jean de l’Association canadienne de l’ataxie de Friedreich me demandait un article concernant les problèmes auditifs reliés à cette maladie. La présence de problèmes d’audition chez les personnes atteintes de l’ataxie de Friedreich est méconnue. On connaît mieux les symptômes dominants menant au diagnostic tels l’ataxie, la faiblesse musculaire, l’incoordination, la dysarthrie, la perte de la sensibilité profonde etc. La présence d’un déficit auditif constitue un symptôme plus rare bien qu’il soit également source de nombreuses limitations fonctionnelles.

Nous avons fait une recherche informatisée dans la banque de données Pub Med medline query pour constater que les articles touchant la problématique des problèmes auditifs chez les personnes atteintes de l’ataxie de Friedreich ne sont pas légion. De plus, les articles listés datent souvent d’avant 1985 ce qui nous amène déjà 15 ans en arrière. Considérant les progrès réalisés depuis, dans le domaine des connaissances scientifiques se rapportant au système auditif, il va sans dire qu’on reste parfois sur notre appétit ! Néanmoins, cet article se veut un résumé des informations les plus valables à nos yeux.

La prévalence

Aucune donnée précise n’est apportée concernant la prévalence des problèmes auditifs chez les personnes souffrant de l’ataxie de Friedreich. Andermann et coll. (1976) mentionne la présence d’une surdité neurale chez 5,2% des sujets de leur étude. L’étude de Sjögren (1943) citée par Shanon et coll. (1981) estime la prévalence des problèmes auditifs à 10% chez les personnes atteintes de l’ataxie de Friedreich. On ne mentionne pas la technique d’évaluation utilisée par ces chercheurs.

Dans l’étude de Ell et coll. (1984) on a évalué l’audition de 10 patients ataxiques ne rapportant aucun problème d’audition subjectif: il s’est avéré qu’à l’audiogramme, un seul d’entre eux avait une audition normale aux deux oreilles ! De plus, 7 de ces mêmes sujets ont été soumis à une évaluation de leurs potentiels évoqués du tronc cérébral et un seul s’est avéré normal. La recherche de Amantini et coll. en 1984 portait sur 9 patients atteints de l’ataxie de Friedreich: encore là, aucun ne se plaignait de surdité. Deux de ceux-ci présentaient un audiogramme démontrant une surdité neurosensorielle. Tous les sujets ont toutefois démontré des difficultés à identifier de la parole avec distorsions ou de la parole dont le «pattern» temporel avait été artificiellement comprimé. Taylor et coll. (1982) ont étudié 16 sujets: deux de ceux-ci présentaient un audiogramme anormal. Toutefois les épreuves électrophysiologiques démontraient des anomalies chez tous les sujets sauf celui dont la durée de la maladie était la moindre.

Ce qui ressort des études plus récentes disposant d’outils d’évaluation plus poussés telles les épreuves électrophysiologiques, c’est que de nombreuses anomalies sont détectées lors des évaluations de la fonction auditive alors que la très grande majorité de ces patients ne se plaignent d’aucune surdité subjective. Il est fortement possible que les indices électrophysiologiques d’atteinte précèdent de beaucoup l’apparition de symptômes perceptibles par la personne elle-même. Aussi, il ne faut pas ignorer que la surdité est possiblement sous-estimée car les chercheurs n’ont pas nécessairement réalisé les tests les plus sensibles (par exemple des tests de compréhension de la parole dans le bruit) et que les sujets et leur entourage n’ont peut-être pas été questionnés de manière suffisamment pointue. Par exemple, la personne peut très bien fonctionner en général mais éprouver des difficultés de communication réceptive lorsqu’elle est confrontée à un environnement bruyant. On sait très bien que dans la population générale, les gens affirment rarement la présence d’un déficit auditif en raison du stigmate social qui y est rattaché. C’est parfois l’entourage qui remarque davantage les difficultés de communication réceptive de la personne affectée. La négation du problème d’audition par les personnes atteintes contribue à sa méconnaissance par la communauté scientifique et ralentit par le fait même la recherche de solutions pour leur venir en aide.

Le type de surdité

Dans la population générale, la majorité des personnes atteintes de surdité présentent ce qu’on appelle en jargon audiologique une «atteinte neurosensorielle d’origine périphérique». C’est la cochlée qui est le plus souvent en cause (voir petit schéma). Dans le cas des personnes atteintes de l’ataxie de Friedreich, l’atteinte serait d’origine plus centrale. Ce seraient les voies auditives qui quittent la cochlée, leurs relais et le cortex qui seraient atteints. La cochlée pour sa part serait essentiellement normale d’où la présence d’un audiogramme peu ou pas atteint. La littérature (Spoendlin 1974) mentionne un audiogramme typique en forme de dôme où l’atteinte est plus marquée sur les très basses et les très hautes fréquences avec une bonne préservation des fréquences centrales dominant le spectre de la parole. Toutefois, on mentionne aussi que les personnes ataxiques présentant une atteinte auditive ne forment pas nécessairement un groupe homogène d’où le danger de parler «d’atteinte atypique».

Source: WikiMedia

Manifestations

Tout comme l’est l’ataxie de Friedreich, la surdité qui peut y être associée est de nature évolutive. Aucun traitement médical ou chirurgical n’est possible. La surdité s’installe de manière insidieuse et c’est probablement pourquoi la personne affectée tarde à la remarquer. Il faut comprendre que cette atteinte, parce qu’elle touche d’abord les centres de l’audition, présente des manifestations pouvant être subtiles: la personne entend la parole car les capacités de détection (capacité à identifier la présence ou l’absence de son ou de parole) sont assez bien préservées. Le problème se situe davantage au niveau du décodage c’est-à-dire de la capacité à identifier clairement ce qu’on a dit. C’est un peu comme si la personne faisait face à une langue étrangère: elle entend qu’on lui parle mais elle n’arrive pas à déchiffrer ce qu’on veut lui dire. Ce problème est davantage remarqué dans le bruit et en groupe et les conversations dans ces situations deviennent de plus en plus difficiles. La personne doit fournir des efforts supplémentaires pour pouvoir prendre part à une conversation. Considérant que les personnes ataxiques sont souvent en contact avec des professionnels de la santé (pour diagnostic et réadaptation), on peut penser à l’impact que peut avoir une communication non efficace dans ces contextes. Pensons par exemple à un médicament dont la posologie a été mal comprise, une consigne mal entendue, un rendez-vous mal noté.

Qu’est ce qu’on peut faire ?

Si vous soupçonnez la présence d’une atteinte de l’audition chez vous-même ou chez une personne de votre entourage, la première étape consiste à faire évaluer l’état de l’audition par un médecin oto-rhino-laryngologiste (ORL) qui référera la personne à un audiologiste. Ces consultations ont généralement lieu en cliniques privées ou en centres hospitaliers. Dans le cas des personnes atteintes de l’ataxie de Friedreich, certains tests moins standards seront peut-être réalisés pour mettre en évidence une atteinte du système auditif central (ex: identification de la parole dans le bruit, épreuves électrophysiologiques). Il incombe à la personne atteinte de bien décrire aux professionnels consultés les symptômes qu’elle remarque dans son quotidien.

Une fois le problème d’audition documenté, il faut penser à offrir à la personne atteinte des moyens pour améliorer ses capacités de communication réceptive. C’est ce qu’on appelle la réadaptation auditive. La réadaptation auditive se réalise au centre hospitalier ou plus souvent en centre de réadaptation. Si les capacités de détection de la parole sont bien préservées, il est inutile de fournir à la personne une prothèse auditive. En effet, rien ne sert d’amplifier la parole si le problème se situe davantage au niveau de la capacité à identifier clairement les mots et les phrases (« j’entends mais je ne comprends pas »). Il faut alors enseigner à la personne à exploiter sa vision pour compléter le message auditif déformé qu’elle reçoit. La lecture labiale s’avère un moyen naturel et efficace pour suppléer à une perte de l’audition. Certains éléments de la parole difficiles à capter auditivement peuvent s’avérer très faciles à voir sur les lèvres d’un interlocuteur. D’autre part, le recours à certaines stratégies de communication peut grandement faciliter la tâche des personnes affectées, citons par exemple :

  • se parler à proximité;
  • contrôler les bruits environnants;
  • être attentif au visage de son interlocuteur;
  • informer son interlocuteur de ses difficultés et des moyens pour favoriser une bonne communication.

Étant donné que la communication implique nécessairement au moins deux personnes, la réadaptation auditive s’adresse également à l’entourage de la personne atteinte de surdité. En étant mieux informées de la nature de cette atteinte et de ses manifestations, les personnes de l’entourage seront mieux en mesure d’adopter de nouvelles façons de faire lorsque vient le temps d’entrer en contact avec l’individu atteint de surdité. Par exemple:

  • attirer l’attention de la personne malentendante avant de lui adresser la parole;
  • lui parler à proximité;
  • contrôler les bruits ambiants;
  • bien montrer son visage en parlant clairement et en adoptant un débit modéré.

La réadaptation auditive peut également impliquer l’accès aux prothèses auditives ou à certaines aides de suppléance. Citons les aides techniques qui peuvent améliorer la communication dans le bruit (on place un microphone près de la bouche du locuteur) et les aides qui donnent accès à une information écrite (tel le sous-titrage à la télévision). Les solutions proposées sont bien entendu adaptées à chaque cas particulier en fonction de l’atteinte, des limitations fonctionnelles rapportées, des activités quotidiennes de la personne et de ses priorités. Dans le cas des personnes atteintes de l’ataxie de Friedreich, il faut aussi considérer les limitations fonctionnelles dans les autres sphères afin que les moyens proposés puissent être intégrés avec réalisme. Bien entendu, la personne est partie prenante de la démarche et c’est à elle de décider si elle désire ou non utiliser ces nouveaux moyens.

La réadaptation auditive s’intéresse aussi à l’aspect psychosocial. La personne présentant une surdité aura peut être besoin de support pour s’adapter à cette condition. Pour certaines personnes, ce deuil s’ajoute à bien d’autres et une aide professionnelle peut s’avérer nécessaire.

L’institut Raymond-Dewar

L’institut Raymond-Dewar est un centre de réadaptation spécialisé en surdité et en communication. Il offre des services aux personnes malentendantes et sourdes de tous âges. Dans chaque équipe, se trouvent des audiologistes, orthophonistes, psychologues, travailleurs sociaux, psychoéducateurs et éducateurs.

La clientèle des personnes atteintes de l’ataxie de Friedreich est relativement nouvelle pour nous. Cette population nous pose des défis que nous sommes prêts à relever. Nous soupçonnons que bon nombre de personnes atteintes de l’ataxie présentent un problème auditif et ne consultent pas simplement parce qu’elles ont le sentiment que rien ne peut être fait pour améliorer cette condition. Certains s’y sont peut-être résignés en considérant que l’atteinte de l’audition n’est qu’une manifestation de plus de l’ataxie de Friedreich et qu’il faut «endurer son sort». Si les personnes atteintes se manifestent davantage, il devient plus facile de développer une expertise plus poussée et des approches novatrices et adaptées. Aussi, peut-être serait-il pertinent de sensibiliser les professionnels qui oeuvrent auprès des personnes atteintes de l’ataxie de Friedreich afin qu’ils soient plus sensibles à cette condition et qu’ils adoptent des stratégies de communication adaptées.

Cet article n’a pas la prétention de dresser un portrait complet de la problématique relative aux problèmes auditifs chez les personnes souffrant de l’ataxie de Friedreich. Comme nous le mentionnons plus haut, nous n’avons pas une idée précise du nombre d’individus atteints mais considérant les impacts négatifs que peut avoir une surdité chez une personne déjà handicapée à d’autres niveaux, nous croyons important de mentionner que ce problème existe, qu’il est fort probablement plus fréquent qu’on le pense et qu’on peut venir en aide aux personnes atteintes.

Bibliographie :

Amantini A, et coll., Auditory evoked potentials (early, middle, late components) and audiological tests in Friedreich’s ataxia. Electroencephalogr Clin Neurophysiol. 1984, Jul; 58(1):37-47.

Andermann E et coll. Genetic and family studies in Friedreich’ataxia. Can J Neurol Sci. 1976 , nov;3(4):387-301.

Cliche s, Dalpé V, Hallé G, Ikherbane S, Simard I, St-Pierre M. L’ataxie de Friedreich. Travail d’étudiants en orthophonie-audiologie présenté dans le cadre du cours ORA 2236. Mars 1997.

Ell J, et coll. Neuro-otological abnormalities in Friedreich’s ataxia. J Neurol Neurosurg Psychiatry. 1984, Jan;47(1):26-32.

Shanon E et coll. Auditory function of Friedreich’s Ataxia. Electrophysiologic study of a family. Arch Otolaryngol. 1981, Avril;107(4):254-6.

Spoendlin H. Optic cochleovestibular degenerations in hereditary ataxias. II. Temporal bone pathology in two cases of Friedreich’s ataxia with vestibulo-cochlear disorders. Brain. 1974. Mars;97 (1):41-8.

Taylor MJ et coll. Electrophysiological investigation of the auditory system in Friedreich’s ataxia. Can J Neurol Sci. 1982, Mai;9(2):131-5.

Van Bogaert L. et coll. Optic and cochleovestibular degenerations in the hereditary ataxias. I. Clinico-pathological and genetic aspects. Brain. 1974. Mars;97(1):15-40.

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